L’expérience TDG d’une créatrice de résilience

Il était temps...

Il y a des week-ends, plus que d’autres, où l’on a envie de s’évader, de fuir, de prendre un billet d’avion, de partir loin et de tourner le dos au quotidien pour poser ses valises ailleurs, à plusieurs milliers de kilomètres, mais ailleurs. Les travaux de la maison étaient programmés depuis un an et ils ont commencé réellement la veille du jour de mon départ pour le trek, le signe, cela tombait bien, trop bien. Je n’ai pas culpabilisé, j’étais heureuse de ne pas déjeuner au milieu de la poussière et des cartons, quand cela devenait marrant pour les enfants de camper et de manger des snacks et tacos assis sur un carton, parce que tous les jours ils avaient de cesse de nous entendre répéter« tiens-toi correctement, assis toi au fond de ta chaise, finis ton assiette ». Là c’était un peu de liberté finalement pour chacun. Une manière positive de voir les choses, pour des travaux qui dureront un an et qui ne sont toujours pas achevés…Le temps et l’attente ont l’importance qu’on veut bien lui donner.

Alors que l’inconnu et l’incertitude me crispaient, ces travaux étaient le souffle pour m’envoler, le  signe du bon moment, celui où il fallait ouvrir son propre chantier de vie, après le contrôle technique salutaire entrepris depuis quelques années, il fallait aller à la rencontre de soi et aller vers une expérience qui bouscule comme me bousculaient les responsabilités que je ne voulais pas, plus assumer, j’avais envie d’être légère juste avec un sac à dos et un sac de couchage, un strict nécessaire que j’ai eu beaucoup de mal à rassembler comme des morceaux d’une vie peu structurée.

Ce mois d’octobre, je repartais seule en vacances, vraiment seule, sans personne de familier à mes côtés, seule, comme cela ne m’était pas arrivée depuis 17 ans.

Le mail reçu la veille de Khadidja, la gérante du Ryad Tchaikana où j’allais passer les nuits avant et après trek était à lui seul une aventure: elle me donnait le nom du chauffeur qui allait venir me chercher à l’aéroport de Marrakech, pour me déposer place Azbest, puis elle viendrait à ma rencontre pour me guider vers le Ryad : une vraie expédition dans une expédition, une sorte de mise en abîme. L’anxiété montait à vue d’œil. Le courage ce n’est pas l’absence de peur, c’est l’action pour avancer. Je m’accrochais, cela serait une belle aventure pleine de rencontres, j’en suis certaine, ce serait à minima la rencontre avec moi, 3 jours de marche, c’est fait pour cela la marche,  prendre le temps avec soi, pour soi.

L’avion était plein, des familles, des couples et beaucoup de groupes habitués des treks de ce que j’en avais compris, et moi seule, moi avec mon courage. Le mouvement était engagé, impossible de faire machine arrière, j’avais des choses à prouver à mes limites, un exemple à donner à mes filles, une nouvelle image à reconquérir auprès de ma famille ! Il y a deux voix, la nôtre et celle que les autres veulent nous dicter. J’avais envie d’écouter mon intuition et sortir de cette zone de confort routinière et sur-protectrice qui finalement ne sert pas l’authenticité, qui nous pousse à porter des masques, à rentrer dans des moules et endosser des rôles. Là, c’était moi contre moi, contre mon audace, je devais faire alliance avec mes peurs pour en faire une force. Le courage c’est être soi, dit Leila Slimani. Il s’agissait de transformer cela en actions et laisser les mots préparer le chemin et servir l’impertinence d’une mère qui prend l’air.

L’aéroport de Marrakech m’accueille, il fait déjà nuit et le chauffeur avec sa pancarte est là, il a l’air honnête, rassurant, je ne m’inquiète pas. Pourtant,  il peine à trouver le chemin du Ryad, il s’engouffre dans les petites rues populaires, étroites, exiguës, peu éclairées, mais grenouillant de monde ; il interroge, cherche, je le vois hésiter, pour finalement me dire qu’il stationne la voiture et que je devais descendre car le taxi ne pouvait pas accéder au Ryad. Il est déjà tard et je sentis la panique monter. Il lie mes angoisses dans mon regard et accepte de m’accompagner un bout de chemin. Ma tenue de trekkeuse du dimanche, pourtant simple, attire le regard, je sors un voile et le pose sur mes cheveux pour me noyer dans la foule. 

Le Ryad était bien noté  sur les réseaux sociaux, l’un des meilleurs, je me dis qu’il devait bien en valoir la peine. On a beau dire, la liberté a un prix.

Arrivée au fameux quartier Azbest, Khadija m’attendait, elle me prend quasiment dans ces bras, en me déchargeant de mon sac à dos. Je peux enfin me détendre et faire confiance pour recevoir ce que j’étais venue chercher, que l’on s’occupe de moi, comme je me suis longtemps occupé des autres. 

La lourde porte du Ryad s’ouvre sur un havre de paix, un calme si précieux que je me demandais quand pour la dernière fois j’avais entendu une telle onde de silence. Un jardin généreux et chaleureux, des roses rouges, une décoration chic, épurée si simple, tout cela sous le regard réconfortant, la gentillesse et le sourire de Khadija. Ma chambre d’hôte était faite pour moi, moi qui m’étais toujours battue pour louer un Ryad en vacances au milieu d’une famille qui avait à chaque fois eu gain de cause pour passer des vacances dans des industries hôtelières inauthentiques sans charme, sans âme.

Le lit, à même le sol,  aux tissus traditionnels blancs, me tendait ses bras. Comment un tel endroit a-t-il pu exister et s’ouvrir ainsi à moi ? Enfin… il était temps !! J’en frissonnais d’émotion, je le méritai, en toute humilité, je méritai le repos dans cet écrin de sérénité quand mes pensées étaient si brouillées, il y a quelques jours, le brouillard se dissipait et tout devenait possible. Il y a un temps pour tout. L’aventure commençait avec son lot de surprises, d’effort et de gnaque, le ressourcement aussi, paradoxalement.

Le matin, les oiseaux qui s’agitaient dans les arbres et le bruit de la veille ville qui se réveille, me font immerger doucement. Je sors pied nus et arpente les marches inégales de l’escalier blanc pour arriver sur le toit du Ryad où déjà le soleil illuminait et réchauffait le sol. Les odeurs du petit déjeuner annoncent une journée gourmande en perspective. J’ai faim et pas que de nourriture.

L’heure de rendez-vous avec l’équipe du trek approche, Khadija insiste pour m’y accompagner en guide  de confiance et garde du corps intentionnée, je continuerai à être bien entourée durant ce séjour, il y a comme des étoiles semées derrière ou devant moi, je crois en moi. J’ai hâte.

Ce cadre est bien choisi pour un départ, pour un nouveau départ. L’hôtel est raffiné, beau, luxueux mais accessible, comme on se doit de l’être avec sa personne. La couleur est annoncée, je sais où je mets les pieds, les moyens sont mis, la jauge de confiance grimpe encore. 

A l’entrée de la bâtisse, les membres de l’équipe sont jeunes, dynamiques, accueillants, simples et naturels, tout ce que j’apprécie chez les gens, quand tout me semble compliqué chez moi. Ils dégagent une sympathie contagieuse au contact de laquelle on ne peut être que serein. C’est le mot bienveillance qui me vient. Tout est clair, organisé, simple, je n’ai qu’à suivre le mouvement et me laisser porter finalement.

Le photographe de l’équipe immortalise le moment avec un selfie sur fond de désert et d’aventures, et le Yallah légendaire qui deviendra une de mes signatures aussi. Le hasard fait bien les choses, d’ailleurs il n’y a pas de hasard, mais que des rendez-vous. J’y crois vraiment. Je me  retrouve assise à côté d’une jeune femme, une petite guerrière au regard piquant et tendre à la fois. Naturellement l’équipe des gazelles en solo prend forme.

Tout est si fluide quand je pensais que j’allais peiner. La pensée est créatrice, et moi complètement optimiste. 

Les femmes sont belles et apprêtées quand moi je m’étais masculinisée volontairement, je voulais passer inaperçue encore, ne pas me faire remarquer une nouvelle fois, m’effacer.

Je m’étais transformée en guerrière en oubliant ma féminité. J’avais le temps, une fois n’est pas coutume j’étais en avance,  j’en profitais pour aller acheter au souk,  une brosse à cheveux, des boucles d’oreille en argent et de la poudre de coquelicot pour recouvrir mes joues pâles.

Les minibus nous conduisent à Essaouira ma ville de cœur. J’y  prendrai ma retraite un jour. Il y règne un havre de paix et une fraicheur qui apaisent les esprits les plus fatigués. L’air de la mer et le cri des goélands nous accueillent sous les rires jaloux des mouettes. J’irai rêvasser à leur côté plus tard dans la journée, pour qu’elles me racontent les secrets du trek.

Les contrastes ponctuent mon séjour : la liberté d’être seule tout en étant pris par le mouvement du collectif, le dynamisme du groupe talonné par la bienveillance de chacun, le rythme des pas et l’appas du paysage qui défile lentement, la distance à parcourir et le temps qui court, presser d’arriver au bivouac pour les rituels reposants….

Essaouira est comme ces femmes en marche que je rencontre au cours du trek : des perles en mouvement, uniques, des combattantes de la vie, résilientes et authentiques. Elles sont fortes, courageuses et libres.  Je rencontre des binômes improbables, des doyennes qui me donnent des leçons de vie sans même parler. Je crois en la force d’un collectif et je crois à l’intelligence émotionnelle, je repartirai riche.

Essaouira dégage cette tendre lumière, qui éclaire les imaginations des rêveurs, intrépides et audacieux.  

Cette ville me ressemble : « désordonnée, mélancolique, captivante, cabossée et mystérieuse ».

Je ne fermerai pas l’œil de la nuit, comme on est inquiet la veille d’un examen clé, ou d’une compétition importante, comme si ma vie allait se jouer les prochains jours. 

 

On y est c’est le grand départ, le vrai, vers un nouveau chemin, que j’arpenterai avec la force de mes jambes et de l’esprit. On s’agite, on s’affaire, on danse même sur le sable frais du matin, aux nuages salés. Et puis commence, le mémorable appel : «  oyé oyé les gazelles » qui fait vibrer, qui sera ensuite complété par les checks d’arrivée des fins de journée, puis par la douce voix de notre yogiste. Tous ces gestes vous marquent le corps comme le sont les encouragements du coach à son sportif avant une victoire. Qui aurait pu croire qu’un jour, je me retrouve à méditer, soleil levant, du haut d’une falaise surplombant la mer sans être dérangée? Qui aurait pensé que je refasse le monde autour d’un feu de camp, après 8h de marche ? Qui aurait cru que je me douche au seau comme dans la maison de mon enfance, sensation que je pensais ne jamais retrouver un jour ? Qui aurait cru que je puisse arpenter tous ces kilomètres et ne ressentir aucune douleur ? Qui aurait cru que je dorme à même le sol, bercée par le bruit des vagues ? Qui aurait cru que j’aille au-delà de mes limites? Au-delà de mes barrières ? De mes peurs ? Qui aurait cru que je renoue avec cette volonté impétueuse ? Qui aurait imaginé que je puisse renouer de nouveau avec mes capacités physiques ? 

J’ai découvert Essaouira, la première fois, il y a 15 ans. Il est des destinations que l’on visite une première fois de façon désintéressée, comme des vacances «  pour visiter »,  juste pour voir, parce que c’est la mode. Et puis on s’y attache et on y laisse un bout de notre cœur. Il se passe un « je ne sais quoi de magique », comme si le lieu était venu finalement nous visiter pour s’engouffrer dans une faille de notre âme, y installer des souvenirs, marquer une part de son territoire et y prendre racine. L’expérience s’y voudra différente à chaque nouvelle visite, plus familière, plus noble, plus intime, plus exceptionnelle. Essaouira restera ma ville de cœur,  je m’y sens bien. Le trek a été au service d’Essaouira, qui le lui a bien rendu. Le choix mutuel n’est pas anodin. « Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous » de Paul Eluard.

Hajer MARZOUGUI, créatrice de résilience

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